Dans un sac, ils ont plié des tee-shirts expressément fabriqués pour leur visite en France. Le tissu est noir, floqué d’une photo d’Ismaïl Haniyeh, chef de l’organisation terroriste du Hamas, collée à celle de Kylian Mbappé, le tout titré en français : “Le Qatar doit choisir son camp” et légendé “sponsorisé par le Qatar”. Ce vendredi 8 décembre, la petite délégation de quatre familles d’otages capturés dans le kibboutz de Kfar Aza le 7 octobre et, depuis lors, détenus par le Hamas, se fiche pas mal des jeux diplomatiques, des billards à trois, cinq ou dix-huit bandes, des canaux de négociations et des acrobaties politiques. Ils n’en peuvent plus. Ils sont morts d’angoisse, fous de rage. Ils en veulent à la terre entière, à leur gouvernement, qui ne fait rien pour leurs proches, à l’opinion mondiale, qui s’habitue déjà à la mort lente des leurs, et ils sont venus à Paris, conduits par l’avocat Calev Myers, fondateur de l’ONG Arise, pour “y faire du bruit” et dire comment depuis deux mois et un jour chaque heure leur est supplice. Reverront-ils Alon Shamriz, étudiant de 26 ans, Doron Steinbrecher, infirmière vétérinaire de 30 ans, et les gueules d’ange de Ziv et Gali Berman, des jumeaux de 26 ans ?Yonatan Shamriz, un des frères d’Alon, ne sait plus comment on fait pour sourire. Visage creusé, yeux enfoncés, il ne comprend pas : “Comment pouvez-vous vous accommoder de voir le Qatar acheter vos footballeurs, vos musées, tout acheter en fait chez vous, en France, [alors que ce pays] abrite et finance le Hamas. Il suffirait que le Qatar dise aux terroristes de relâcher leurs proies et ce serait réglé en deux minutes.” Ces quatre familles vivaient dans le kibboutz de Kfar Aza, ils y travaillaient, y élevaient leurs enfants, y veillaient sur leurs parents. “C’était 98 % de paradis et 2 % d’enfer. Maintenant, c’est 100 % d’enfer”, avance Yamit Ashkenazi, la grande sœur de Doron. L’endroit était si harmonieux, si prisé qu’il fallait aux candidats patienter deux ans avant de pouvoir espérer s’adjoindre au projet et y construire une maison. Ils racontent les 800 familles, toutes liées, le jardin d’enfants, où les leurs jouaient là où eux-mêmes petits s’étaient amusés avant eux, ils décrivent les arbres, les fruits, l’agriculture et les affaires. “Nous sommes une seule famille, nous aimons la paix, nous ne faisons pas de politique.” Avec eux, depuis des décennies, les dizaines de travailleurs gazaouis, qui “étaient comme des frères”, des frères qui, le soir venu, repartaient vers Gaza et leur triste sort. Ils savent désormais que ceux-là même avec qui ils partageaient repas et labeur les ont trahis, ils assurent que ce sont eux, eux seuls, eux forcément, qui ont confié au mouvement terroriste Hamas les plans du kibboutz avec les indications pour identifier les maisons où étaient les stocks d’armes, le central téléphonique, le générateur. Ils racontent que les assaillants ont suivi un déroulé incroyablement efficace, un plan nourri de l’intérieur. “Tous des traîtres”, crachent-ils, lèvres de cire. “Ils ont d’abord tué les maîtresses qui s’occupaient des enfants”, ajoute Yonatan Shamriz. Eux en ont réchappé, en cinq minutes, ils ont pris la fuite, ils n’ont plus de papiers d’identité, plus d’objets personnels, ils vivent à l’hôtel et les vêtements qu’ils portent leur ont été offerts.Jeudi, ils étaient à Bruxelles, samedi ils seront à Strasbourg, ce vendredi ils ont été reçus au Sénat. Partout, ils distribuent leurs tee-shirts. “C’est vous qui avez le pouvoir sur le Qatar, ce n’est pas Israël”, répètent-ils, ne souhaitant pas s’étendre sur la politique menée par leur Premier ministre. Dans leur détresse, ils en veulent singulièrement au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), catalyseur de leur impuissance douloureuse et de leur raison abdiquée par le chagrin. Qu’on ne vienne pas leur parler de neutralité, de canal de transmission, ou du drame insensé que vivent les Palestiniens. Ils n’entendent pas. A Genève, le 20 octobre, ils ont rencontré la diplomate suisse Mirjana Spoljaric Egger, présidente du CICR. Elle a pleuré en écoutant leurs récits. Et ça les rend encore plus furieux qu’elle ait pleuré, alors que leurs sœurs, leurs frères meurent. “Pourquoi le CICR n’a jamais rendu visite à un seul otage ? Qu’est-ce qu’ils font, à part jouer au taxi quand il y a des libérations pour qu’on voit leur logo à la télévision ? Rien, rien !” Yonatan n’en peut plus, il reprend sa respiration, ajoute que, bien sûr, “il faut protéger les civils des deux côtés”, mais, voilà, lui ne voit qu’un seul côté, celui de son frère détenu, sans aucune perspective d’être bientôt libéré. D’ailleurs, est-il seulement vivant ? Le Hamas a tué 63 personnes dans le kibboutz de Kfar Aza, il en a capturé 19, relâché 12, des femmes avec leurs enfants. L’heure tourne, ils se lèvent, muets, mécaniques. Entre leurs mains, les affiches représentant les visages de leurs proches. Et dans leur sac, le tee-shirt qui dit que la douleur aveugle. Et que la diplomatie n’est pas leur affaire.
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Author : Emilie Lanez
Publish date : 2023-12-08 17:25:42
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“Que fait la Croix-Rouge, à part jouer au taxi ?” : le cri de rage de familles d’otages israéliens
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